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La guerre en photos

  • Photo du rédacteur: Christine Vaufrey
    Christine Vaufrey
  • 26 juin 2024
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 juil. 2024


Roger Fenton et son photographic van, pendant la guerre de Crimée, en 1855.
Roger Fenton et son photographic van, pendant la guerre de Crimée, en 1855. Library of Congress, Public Domain.


Une guerre sans images n'existe pas, dit Emeric Lhuisset, photographe de son état. Depuis combien de temps photographie-t-on les guerres ? Les photos de guerre ont-elles changé au fil du temps ? Les regarde-t-on aujourd'hui comme on les regardait hier ? On va tenter de répondre à ces questions.


Pour cela, nous prenons encore une fois le chemin de l'est, celui de la Crimée.

Car c'est en Crimée qu'a eu lieu la première guerre à être photographiée. C'était en 1855.


La guerre de Crimée dont il est question s’est déroulée entre 1853 et 1856. Sans entrer dans les détails, disons qu’elle opposait la Russie qui possèdait la Crimée depuis 80 ans, à la Turquie alors centre de l’Empire ottoman, qui avait bien l’intention de récupérer ce territoire. La Turquie était elle-même soutenue par la France et la Grande Bretagne. Et voilà comment des soldats anglais et français sont allés mourir aux portes de Sébastopol, ce qui n’était pas franchement bien vu dans les deux pays concernés. Au total, ce conflit aura fait 600 000 morts, au moins.  


La photo de guerre, quelle galère !

La photographie, elle, a été inventée autour de 1840, même si Niepce avait réalisé une première image dès 1824. Autant dire qu’au milieu du siècle, la photo était encore un média jeune, et pas très souple. Pour prendre une photo, il fallait un très gros appareil, des plaques de verre, un laboratoire ambulant.

Voici comment Roger Fenton, le plus connu des photographes qui immortalisèrent la guerre de Crimée, avait préparé son matériel : 


“ Dès l’automne 1854, Fenton se prépare à affronter les conditions de travail difficiles qui l’attendent en Crimée. Il achète à un marchand de vin de Cantorbery un camion à chevaux qu’il transforme en chambre noire ambulante pour préparer les plaques de verre au collodion humide et pour assurer les développements sur place en laboratoire, immédiatement après la prise de vue. (...) Le 20 février 1855, Fenton s’embarque, passe par Gibraltar et Malte où il achète les trois chevaux destinés à tirer le photographic van. Arrivé le 7 mars en Crimée à Balaklava avec ses deux assistants, Marcus Sparling et William, Fenton apporte sept cents plaques de verre de trois formats différents, cinq chambres photographiques de tailles différentes, et divers produits chimiques, soit au total trente-six caisses de matériel ” (Source).


On aimerait lui offrir un smartphone et une connexion internet, à cet homme-là.


Sur place, ce n’est pas plus facile: les températures allongent encore les temps de pause. Pour avoir une photo suffisamment nette et claire, il fallait en effet laisser l’obturateur de l’appareil ouvert pendant plusieurs secondes (oh, Fenton, le mode “rafale”, tu en rêvais, non ?). Du coup, ça interdisait de photographier tout sujet en mouvement. Donc, tous les personnages visibles sur les photos sont immobiles. Quant aux lieux dans lesquels se déroule la guerre, ils sont généralement vides… L'absence de téléobjectif fait que les villes sont prises de très loin.


On imagine que Fenton a dû voir bien plus que ce qu’il a pu photographier, compte-tenu de ces fortes contraintes techniques. En plus, il avait été envoyé en Crimée par le gouvernement britannique, qui lui avait fait passer un message simple : ne pas montrer la boucherie de la guerre. Laisser entendre que tout se passait bien là-bas, et que le groupe de pays opposés à la Russie allait remporter la victoire. 

Message reçu. 


La guerre avec des plumes

Malgré ces limitations techniques et la vision partisane qu’elles véhiculent, les photos de la guerre de Crimée sont très intéressantes.


Ce qui m’a frappée lorsque j’ai parcouru ces photos, ce sont les costumes. A l’époque, on allait faire la guerre avec des plumes. Oh bien sûr, tout le monde n’en portait pas. Les officiers (ultra-majoritaires sur les photos de Fenton) portaient surtout la casquette, et les hommes de troupe, des calots. Mais regarde les officiers supérieurs et certains régiments : leurs couvre-chefs valent le détour. Bonnets de poils, bicornes emplumés, casques à crinière… 



Le Maréchal Pélissier, de l'armée française.
Le Maréchal Pélissier, de l'armée française. Photo : Roger Fenton. Library of Congress, Public Domain.


Bien entendu, les photos sont en noir et blanc, ou plutôt en brun, qu'on appelle sépia. On ne voit donc pas les couleurs des uniformes. Si c’était le cas, on distinguerait plusieurs nuances de bleu, du rouge, du blanc et beaucoup, beaucoup de galons dorés. 

Certains uniformes sont si ébouriffants que Fenton lui-même s’est fait photographier costumé en uniforme de Zouave (armée française), comme s’il allait au bal masqué.



Roger Fenton costumé en uniforme de Zouave.
Roger Fenton costumé en uniforme de Zouave. Library of Congress, Public Domain.

Comment a-t-on pu faire la guerre dans cette tenue ?


Camp de vacances avec risque de mort brutale

L’autre élément frappant, c’est l’extrême vulnérabilité des combattants. Lorsque Fenton arrive en Crimée, les armées luttant contre la Russie font le siège de Sébastopol. Il s’agit donc d’une guerre de position plus que de mouvement. Tout le monde loge sous de jolies tentes claires, posées sur les landes comme les pâquerettes dans les prairies.



Balaklava, from Guard's Hill
Balaklava, from Guard's Hill. Photo : Roger Fenton. Library of Congress, Public Domain.


Manifestement, le principe des tranchées n’avait pas été retenu, contrairement à ce que l’on verra dans les guerres ultérieures. Comment les hommes se protégeaient-ils des bombardements et incursions de leurs ennemis ? 600 000 morts, on n’est pas trop étonnés.


Ces photos sont terriblement datées : elles témoignent davantage des guerres qui les ont précédées que de celles qui les suivront. 


Courage et mise en scène de la guerre

Car la guerre s’est métamorphosée, surtout depuis le premier conflit mondial du XXe siècle. Depuis, le mouvement n’a fait que s’accélérer. Et la manière de photographier la guerre a elle aussi radicalement changé. 


Les photographes de guerre sont devenus des sortes de héros, du type belle gueule - tête brûlée. Plusieurs, et non des moindres, ont payé leur courage (ou leur inconscience) de leur vie. Capa figure parmi les plus célèbres des photographes de guerre, mais on peut aussi parler du britannique DonMc Cullin, du français Patrick Chauvel, de l’Italien Lorenzo Meloni . Et des femmes, bien sûr : Lee Miller, Françoise Demulder, Véronique de Viguerie, Carolyn Cole


En 2022, le Musée de l’Armée a présenté une exposition complète et savante, intitulée “Photographies en guerre”, qui dressait un vaste panorama des usages multiples de la photographie de guerre. 





C'est clair : il s’agit bien d’une “construction médiatique” de la guerre. Autrement dit, qu'il le veuille ou non, le photographe donne une image partisane de la guerre qu'il photographie. Généralement celle qui va plaire au média (et donc au public, éventuellement aux autorités...) qui la publiera.


Aujourd’hui, en Ukraine, certain.e.s sont toujours au plus près des combattants, comme Evgeny Mamoletka, dont nous avons déjà parlé. Leurs photos sont plus humbles que celles de leurs glorieux aînés. Plus humbles, mais pas nécessairement moins frappantes : elles resteront dans les mémoires et les imaginaires lorsque la guerre, celle-ci comme les autres, sera terminée. 


Pourtant, le “choc des photos” professionnelles s’est considérablement affaibli, battu en brèche par la vidéo d’une part, la multiplication des photos amateures d’autre part. Ce sont les soldats eux-mêmes, et les habitants sur la ligne de front, qui fournissent la majorité des image aux sites d’information et aux réseaux sociaux. Du coup, les photographes sont acteurs des conflits plutôt que témoins. Ils shootent au cœur de l’action - ou à distance, en pilotant des drones.


Cette pratique de la photo privée est ancienne : elle date du tout début du XXe siècle, avant même l’apparition des “photographes de guerre” officiels. La grande différence avec cette époque lointaine, c'est que le numérique a mis un appareil photo et une caméra dans toutes les mains, Internet permet d'expédier les photos en un clin d’œil à l'autre bout de la Terre (à condition d'avoir une connexion...), et les réseaux sociaux assurent leur large diffusion. 


Mais bien entendu, ce vivier quasi-inépuisable d’images pas chères est aussi un nid de fakes. D’où la nécessité impérative de vérifier chaque image avant de la diffuser. Après-tout, la propagande est une arme de guerre. Le grand Capa lui-même n’a pas hésité à mettre en scène ce qui donna lieu à sa photo iconique de la guerre d’Espagne (1936-1939), la “Mort d’un soldat républicain”. A l'heure où la création de fausses images est à la portée d'un enfant de 6 ans, les fact checkers deviendront-ils les nouveaux héros de l'image de guerre ?


Tu veux en savoir (encore) plus ?


Découvre les photos de la Guerre de Crimée prises par Roger Fenton : 

Fenton crimean war photograph, Library of Congress


Et lis le dossier de presse réalisé à l’occasion de l’exposition de ces photographies au château de Chantilly, en 2022 : 


Fais la connaissance d’un autre pionnier de la photographie de guerre : Felice Beato. Il a photographié la 2e guerre de l’opium en Chine, en 1860. Installé au Japon, il a par ailleurs laissé de merveilleuses photos de ce pays.

Felice Beato, Wikipedia



Lis l’article de synthèse sur la photo de guerre réalisé par la Bibliothèque nationale de France. Pas trop long et bien clair.


Prends la mesure de l’importance de l’image dans la guerre contemporaine, et en Ukraine en particulier.

Guerre de l’information - Quatre enseignements du conflit en Ukraine. Julien Nocetti, La revue des médias, INA, 2023.


Si tu en as la possibilité, assiste au festival Visa pour l'Image, qui se tient chaque année à Perpignan. De très nombreux photojournalistes y exposent leurs photos. Et la guerre est malheureusement souvent à l'honneur...



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