Images de guerre : là où se mêlent fiction et réalité
- Christine Vaufrey
- 16 mai 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 juin 2024

Je commence ici une série d'articles consacrés aux images de guerre.
La guerre fait partie de l'actualité. Il y a toujours une guerre en cours quelque part. Ces guerres sont plus ou moins couvertes par nos médias, selon leur proximité, leurs enjeux là où nous nous trouvons.
La guerre dégoûte, épouvante, révolte. Mais pas que. La guerre fascine, stimule, motive aussi. En témoigne, le succès des films de guerre. Ces derniers abordent surtout les guerres qui sont terminées, ou celles qui n'ont pas encore eu lieu...
Alors, quelles images de guerres marquent nos mémoires ? Comment réalité et fiction s'entrechoquent-elles dans nos esprits ?
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J’écris ce texte en mai 2024. La date est importante, car je vais parler dans plusieurs articles de cette série des images d'une guerre en cours : la guerre en Ukraine. Il est possible que les semaines ou mois qui viennent mettent en défaut une partie de ce que j’écris ici.
Quelles sont les images de la guerre en Ukraine ?
Disons d'abord qu'on voit une forte majorité de vidéos, reportages ou commentaires. Pour schématiser, disons que la vidéo est un média de flux, elle attrape le quotidien. La photo est le média de l'instant. le déclenchement traduit un choix. Les images du réel ancrées dans nos mémoires sont plus souvent des photos que des vidéos, me semblent-il. Mais au cœur de l'action, pour rendre compte de ce qui se passe quotidiennement, la vidéo est irremplaçable.
On voit beaucoup de cartes, qui nous aident à visualiser les mouvements des troupes et la ligne de front. Ces cartes s'avèrent indispensables, au moins à deux titres :
Vue de France, l'Ukraine est un peu loin... Les cartes nous rafraîchissent la mémoire, nous permettent de localiser des villes telles que Kiev, Marioupol, Kharkiv; des provinces telles que le Donbass et la Crimée.
Les commentateurs, très nombreux sur YouTube, développent quotidiennement pendant des heures sur le moindre mouvement de troupes et les lieux des affrontements. Ils le font en s'appuyant sur des cartes à petite échelle, qu'ils annotent copieusement. Regarde par exemple la chaîne Les conflits en cartes, très "pro" et tentant de rester impartiale. Pour un discours plus pro-ukrainien, on peut aller voir la chaîne de Denys Davydov, en anglais.
On voit également beaucoup d’images qui montrent les lieux et protagonistes avant et après les affrontements armés :
Avant, ce sont les entraînements, les déplacements de matériel, les évacuations de population.
Après, ce sont les villes dévastées, les personnes qui pleurent leurs morts, les soldats exténués...
Les grands médias, qui envoient des journalistes et photographes sur place et utilisent les photos des grandes agences, publient la majorité de ce type d'images. Elles montrent la guerre au quotidien, telle qu'elle est vécue par des gens comme toi et moi. Le photographe ukrainien Evgeny Maloletka, récompensé pour son travail à de nombreuses reprises, se plonge au cœur des régions ravagées par la guerre. Ses photos sont bouleversantes, et je te recommande de suivre son compte sur Instagram.
On voit peu d’images des combats en cours, des affrontements armés, des soldats au cœur de l’action. Evgeny Maloletka dont il a été question plus haut prend des risques énormes et montre les forces armées en action. The Kyiv Independent (site réputé pour la fiabilité de ses informations, financé par des fonds européens) t’emmène aussi dans les zones les plus touchées par les attaques russes. On suit des soldats, on entend les obus qui explosent. Voici un exemple de reportage qui te fait vivre la guerre de très, très près :
Enfin, parlons d'une catégorie particulière, qui envahit les réseaux sociaux : les images de drones. On y voit des drones qui atteignent leurs cibles, ou encore des images filmées par les drones eux-mêmes. Sur YouTube, certaines chaînes spécialisées récupèrent les vidéos postées d'abord sur X et/ou Telegram, les commentent et les géolocalisent.
Le matériel est donc abondant pour qui veut voir ce qui se passe sur le front de la guerre en Ukraine. Pourtant, au vu de ces images, je me sentais malgré tout un peu frustrée : où étaient les longues séquences filmées au cœur des combats, qui nous montrent les forces en présence, les risques fous pris par les belligérants, les soldats touchés à mort, les tanks et les véhicules blindés qui explosent ?
Et tout d'un coup, j'ai compris : ces images, on ne les voit jamais dans les reportages réalisés sur le font. Ces images, on les voit dans les films.
Si je cherchais ces images dans les actualités nous venant d'Ukraine, c'est que mes représentations de la guerre tenaient au moins autant à la fiction qu'à la réalité. Je suppose que je ne suis pas la seule dans ce cas.
La mise en scène de la guerre
Sur Wikipedia, on trouve les listes des films (fictions et documentaires) consacrés à la première et à la seconde guerre mondiale. Listes immenses, qui nous montrent que les guerres conservent tout leur pouvoir de storytelling.
Le ton des films de fiction a changé au fil du temps : peu à peu, l'héroïsme et la juste victoire sur l'ennemi ont cédé la place à l'absurdité, la laideur et la cruauté. L'hyperréalisme est désormais de mise, jusqu'à l'insoutenable lorsqu'il s'agit de mettre en scène les terrains de guerre. A ce niveau, Fury, le film de l'Américain David Ayer sorti en 2014 et À l'ouest rien de nouveau, 4e adaptation du roman d'E. M. Remarque, de l'Allemand Edward Berger sorti en 2022, constituent des exemples très significatifs.
Il faut sauver le soldat Ryan : deux batailles XXL
Spielberg a réalisé plusieurs films sur la seconde guerre mondiale. Il faut sauver le soldat Ryan est sorti en 1998 . La bande annonce originale résume parfaitement le sujet du film :
Mais ce que ne montre pas cette bande-annonce, c'est que ce film a durablement changé la façon de filmer la guerre, précisément en la montrant dans toute sa dureté. Spielberg s'en est expliqué en 2000 :
"Sur Private Ryan, j'ai essayé d’adopter l’approche opposée de presque chacun de mes films préférés sur la Seconde Guerre mondiale. Les films réalisés pendant la guerre ne se sont jamais vraiment préoccupés d’être réalistes, mais plutôt de vanter les mérites de gagner et de se sacrifier sur l’autel de la liberté […] J’adore ces films, mais je pense que le Vietnam a poussé les gens de ma génération à dire la vérité sur la guerre sans la glorifier. En conséquence, j’ai adopté une approche beaucoup plus dure pour raconter cette histoire précise." (références sur cette page)
Le film se passe lors de la bataille de Normandie, en juin 1944. Il comprend deux scènes de combats majeures, l'une au début et l'autre à la fin. Celle du début, c'est le débarquement sur la plage d'Omaha Beach, le 6 juin 1944. On y voit mourir des milliers de jeunes soldats, certains alors qu'ils n'ont même pas encore posé le pied sur la plage. La caméra les filme serrés, les balles font des ravages. La scène dure 25 mn. On sait qu'il a fallu 1 mois à Spielberg pour la tourner.
Celle de la fin, qui dure également 25 mn, c'est la bataille du pont de Ramelle, petit bourg (inventé pour les besoins du film) détruit par les bombardements et convoité par l'ennemi à cause d'un pont stratégique. Spielberg en fait un moment d'héroïsme pur, où succombe le héros du film, le capitaine Miller joué par Tom Hanks.
Entre ces deux batailles, il y a le passage du groupe indifférencié à l'individu, et de ce qu'il faudra de sacrifice pour le sauver. Le coût humain de la guerre est au cœur du film et c'est sans doute pour cela qu'il frappe autant les esprits.
La fin, indispensable au récit
Un récit, écrit ou filmé, est toujours tendu vers une fin. Il faut en effet que la guerre soit terminée pour en tirer du sens, des leçons, des histoires. Que l'on se place du côté des vainqueurs (cas de la plupart des réalisateurs, et Spielberg ne fait pas exception) ou des vaincus (comme dans A l'ouest rien de nouveau), la fin du conflit joue toujours un rôle capital dans l'agencement des éléments du récit.
Les images qui nous arrivent quotidiennement ou presque des guerre en cours ne portent pas la fin de l'histoire. Elle ont valeur de témoignage, et prendront un poids beaucoup plus important une fois que tout sera terminé. Pour le moment, elle nous parlent seulement de la mort, du désespoir et du chaos inhérents à toute guerre.
Tu veux en savoir (encore) plus ?
Regarde 20 jours à Marioupol. Ce film documentaire montre le début de l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, au plus près des civils. C'est bouleversant.
20 jours à Marioupol. Réalisation : Mstyslav Chernov et une équipe de journalistes ukrainiens. 2023, 1h33.
Disponible gratuitement sur le site de france.tv (version expurgée de ses scènes les plus choquantes) et la plupart des sites de VOD.
Avant de (re)voir Il faut sauver le soldat Ryan, lis cet article paru à l'occasion du 25e anniversaire de la sortie de ce film sur un site québécois. Il détaille les nombreuses innovations qui font de ce film un moment unique dans le cinéma de guerre.
"Saving Private Ryan" : le film de guerre novateur de Spielberg a 25 ans. François Lévesque, Le Devoir, 18 juillet 2023.
Tu peux lire aussi cet article publié sur le site Moments d'histoire, qui fournit un résumé du film et le replace dans son contexte historique. Sur le même site, on trouve d'autres posts consacrés aux films de guerre. C'est le cas par exemple de À l'ouest rien de nouveau.
Analyse historique du film Il faut sauver le soldat Ryan. Jules Augustin, Moments d'histoire.


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