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Tranchées, d'une guerre à l'autre

  • Photo du rédacteur: Christine Vaufrey
    Christine Vaufrey
  • 2 juin 2024
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 juil. 2024


Soldats dans une tranchée
Soldats dans une tranchée. Archives municipales et bibliothèque patrimoniale d'Abbeville. Domaine public.

Quand tu entends parler de “guerre des tranchées”, à quoi tu penses ? 

Si tu n’as pas de mémoire historique, tu ne penses probablement à rien, et tu te demandes ce que ça veut dire.

Ou alors, si tu te souviens de tes cours d’histoire et de quelques films fameux, comme 1917 par exemple , tu penses à la Première guerre mondiale. 

Ou bien, et peut-être même en même temps, tu penses à la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine, et notamment à ce qui se passe dans le Donbass. 


Le Donbass, c'est où ?

Le Donbass, c’est une région à l’est de l’Ukraine :


Carte du Donbass
Région du Donbass, est de l'Ukraine. Wikimedia Commons.

En 2014, alors que les Ukrainiens se mobilisent massivement contre la corruption de leurs dirigeants, la Russie envoie des militaires dans le Donbass pour soutenir des séparatistes pro-russes. Elle le fait incognito : les soldats ne portent aucun signe distinctif sur leurs tenue. L’armée ukrainienne intervient, et une véritable guerre commence. En 2022, l’armée Russe envahit d’autres régions du pays. Et ne se retire évidemment pas du Donbass. En 2024, cela fait donc 10 ans que le Donbass est en guerre.  10 ans, tu imagines ?


Il s’agit surtout d’une guerre de positions : les deux camps se tiennent à quelques centaines de mètres, quelques kilomètres au maximum, l’un de l’autre, et se tirent dessus avec plus ou moins d’intensité, selon les périodes. Les soldats se tiennent dans des tranchées, qu’ils ont le plus souvent creusées eux-mêmes, avec des pelles et des pioches. Ils vivent dans des casemates, autrement dit des abris enterrés. Ils y dorment, y cuisinent, y réparent leurs armes, y tuent le temps. 



Tranchées, la guerre au quotidien

Cette réalité quotidienne, faite de moments creux et d’attaques subies ou portées à l’ennemi, c’est ce que montre le documentaire Tranchées, réalisé par le journaliste Loup Bureau en 2020. C'est-à-dire, à une époque où la plupart des gens (toi, moi, nous tous) se fichait complètement de ce qui se passait au Donbass, et ignorait qu’il s’agissait de la seule guerre en cours sur le continent européen. 


Voici la bande annonce de Tranchées : 



Tranchées est un documentaire long (90 mn), fait pour le cinéma. On y voit une unité de l’armée ukrainienne qui tient une position face à une unité de l’armée russe. Le quotidien s’écoule lentement. Les soldats sont généralement jeunes - sauf une femme qui se dit “fatiguée de faire l’instit de maternelle” avec les jeunes soldats :-) . On repère deux officiers. les soldats creusent souvent, ils se marrent parfois, ils regardent des vidéos sur les téléphones, et ils se protègent comme ils peuvent lorsqu’explosent les grenades et les obus. Tout s’accélère lorsqu’une attaque est menée : il s’agit bien de la guerre, en fin de compte. 


Le film est en noir et blanc, sauf un bref passage qui relate le retour des soldats à la vie civile. Loup Bureau s’explique sur ce choix, et sur celui du format 4/3, presque carré : 


“Ce format beaucoup plus carré que le 16/9 me permettait de rendre la vision très réduite que l’on a du fond d’une tranchée. Quant au noir et blanc, il me permettait de brouiller les repères temporels chez le spectateur. D’évoquer un passé lointain, tout en étant dans le XXIe siècle. Par ailleurs, le monde des tranchées est terne. On y croise très peu de couleurs, mais il accorde une grande place aux jeux de lumières.” (source : Télérama ).


Pour nous faire partager la vie de ces combattants, il fallait un format éloigné de celui du reportage, et la dose de subjectivité qu’autorise le documentaire cinéma. J’en parlais dans l’article précédent : les images quotidiennes de la guerre nous montrent ses effets bien plus que ses acteurs directs. Si l’on veut voir et ressentir ce que vivent les soldats, rien ne vaut la fiction, pour donner toute sa profondeur à la réalité. 


Première guerre mondiale : 4 années de tranchées

Lors de la Première guerre mondiale, les camps ennemis ont fait un usage massif des tranchées. Des photos de ces tranchées, il y en a plein les musées. Le Musée de la Grande guerre, à Meaux, en présente plusieurs sur son site, avec un article qui décrit bien ce que pouvait être la vie semi-enterrée des soldats à l’époque. Du bois, des sacs de sable, quelques briques… Certains ont vécu pendant 4 ans dans ces installations fragiles, censées les protéger de la mort. 


Photo de soldats dans les tranchées, pendant la première guerre mondiale
Soldats dans les tranchées protégés par des masques à gaz. Gallica / BNF, archives départementales de la Charente-Maritime.

Pour en savoir plus, on peut donc aller au musée ou sillonner Internet. Mais je te conseille surtout de lire les BD de Jacques Tardi  . Tu n’auras que l’embarras du choix : Tardi a traité de la Première guerre mondiale pendant 40 ans. Il a publié 5 albums formidablement documentés sur cette période : 

  • Adieu Brindavoine - La fleur au fusil - Casterman, 1974

  • La véritable histoire du soldat inconnu - Futuropolis, 1974

  • C’était la guerre des tranchées - Casterman, 1993

  • Putain de guerre ! 2 tomes : 1914 - 1915 - 1916 (Casterman, 2008) et 1917 - 1918 - 1919 (Casterman, 2009). Réunis en un seul volume dans l’édition de 2014.

  • Le dernier assaut - Casterman, 2016. 


Les tranchées à hauteur de bidasse

Arrêtons-nous sur Putain de guerre. Comme tous les autres, l’album raconte la guerre à hauteur d’homme. Le narrateur unique (pas de dialogues, pas de “bulles” dans cette œuvre) est un ouvrier parisien mobilisé dès 1914. En ouvrant le premier tome, on constate que la guerre est déjà commencée. Notre homme marche avec son bataillon, il va rejoindre le front. Il ne comprend rien à ce qui lui arrive : il participe d’abord à de grands assauts dans lesquels les hommes tombent comme des mouches. Puis la stratégie générale change : la guerre de mouvement cède la place à une guerre de positions. Les hommes creusent et s’enterrent. La guerre des tranchées commence. 

Les combats ne cessent pas pour autant. L’horreur au quotidien s’installe, et les pages de la BD deviennent de plus en plus grises. Seuls les uniformes et les scènes de carnage, nombreuses, conservent encore un peu de couleurs. 


La vie dans les tranchées est monotone, le champ visuel est réduit : la plupart des strips sont composés d’une seule case en pleine largeur, c'est ce que voit le narrateur. 

Utilisation du noir et blanc, largeur de champ correspondant au regard : on retrouve ici les choix esthétiques de Loup Bureau. 


page de l'album Putain de guerre
Tardi Jacques, Putain de guerre, T1. (c) Casterman

Un travail hyper-précis et documenté

Pour raconter la guerre, Tardi est incomparable. Ses images, ultra-réalistes. Tardi se documentent énormément, notamment auprès de son ami l’historien et collectionneur Jean-Pierre Verney. Celui-ci a amassé une collection de plusieurs milliers d’objets relatifs à la Grande guerre. Depuis 2011, on peut les voir au Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux. Jean-Pierre Verney a d’ailleurs rédigé un livret qui est ajouté à la fin de chacun des 2 tombes de Putain de guerre, et qui fournit des points de repère utiles sur ce conflit. 


Tardi ne se contente évidemment pas de soigner les détails. Il compose ses images de manière à guider le regard du lecteur. Dans la vidéo qui suit, on le voit préparer une image : 



“En une seule image, l’allégorie de la désolation happe le visiteur. Supériorité des images sur le réel. Le réel a besoin d’interprétation pour rester réel”. Ce passage est extrait de Serge, le roman de Yasmina Reza. Ce roman n'a rien à voir avec la Grande guerre. Mais... la citation est extraite d'un passage traitant d'une visite à Auschwitz. La guerre, encore, cette fois la Seconde guerre mondiale, et l’horreur absolue. 


La guerre de positions et les combattants enterrés dans des tranchées restent d’une totale actualité. Le besoin impératif de l’art pour nous faire ressentir ce qu’est la vie de ceux qui se battent, aussi. 


Tu veux en savoir (encore) plus ?


Regarde Tranchées de Loup Bureau. Le film est disponible sur plusieurs plateformes de VOD (liste ici ).


Ecoute Loup Bureau qui s’exprime longuement sur son film : ses choix, ses conditions de réalisation.


Lis et écoute les infos qui viennent d’Ukraine : 

Un article du Monde décrit les travaux actuellement en cours dans la région du Donbass.


Un article multimédia sur le site de France Info décrit des travaux du même genre, dans la région de Kharkiv.


Lis Putain de guerre ! en édition intégrale. Bibliothèques, librairies, sites de vente d'occasion... Tu le trouveras à coup sûr !

Jacques Tardi et Jean-Pierre Verney - Putain de guerre ! Edition intégrale, 144 pages, Casterman.


Pour en savoir plus sur Tardi, et la Première guerre mondiale, regarde ce documentaire :




Mais Tardi ne s'intéresse pas seulement à la Guerre. La preuve dans cet article :





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